Retour aux sources

J’ai besoin de revenir au point de départ, là où tout était encore possible, là où rien n’avait été défait.

J’ai besoin de retrouver ma voix de femme, celle d’avant l’amour, avant les hommes, avant les robes. Celle où la forme de mon corps n’avait pas encore d’emprise sur ma vie. C’est le lieu de l’enfance, de l’écriture libre, des couleurs. Les jeux, les odeurs. La soupe au pain de grand-maman Nellie et ses plogues à la moutarde. Pourtant, il y a toujours eu la présence sacrée des mâles autour de moi. Mes oncles, mon grand-père maternel, leur langue de vipère et les saloperies qu’ils débitent à propos des femmes. Tous pareils. Maitres du monde, toujours.

Je cherche le point libre de tout propos indécent. Le verbe d’avant la chute. Avant l’Eve éternelle et insupportable. Avant les récits des hommes, avant la naissance des enfants, avant les mots, avant l’idée même de Dieu et des anges qui veillent sur nous, me semble.

J’ai un tel besoin de liberté que je dois mettre tout en branle pour atteindre ma nouvelle naissance.

Naitre de moi-même hors de la portée de la mère et des hommes avares.

Faire comme ma grande et partir, peu importe le regard des autres, partir. Avancer dans sa propre vie. Pour soi uniquement. Libre et heureuse.

Deux ans encore à jouer à la mère. Deux ans à attendre d’être libérée des tâches ménagères. Qu’est-ce qu’on mange, quand est-ce qu’on mange? Deux ans à vivre sans exister ou serait-ce le contraire?

être libre. être libre. être libre.

C’est possible.

Prendre congé de cette mère qui a été formée à même la côte d’Adam et qui ronge son os.

Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part et qu’il me dise de ne pas m’en faire: rien ne manque, dans la vie rien ne manque. Et que je m’enferme ensuite dans un château qui serait en réalité un monastère. Un lieu de silence et de paix. Un lieu où on respire.

Partir une saison ou quatre et écrire pour savoir où je suis, où j’en suis.

« L’essentiel est invisible pour les yeux», disait St-Exupéry. Je veux trouver ce qui ne se voit pas. Tendre la main et sentir le poids des choses pour ce qu’elles sont en dehors de l’image. Trouver la source de vie qui est en chaque chose, dans la banalité même de la chose, là où elle révèle toute son ampleur. Je veux toucher les racines même du verbe être. Sans souci, sans sexe. Juste être et libre ensemble, les deux en même temps.

Quelque chose en moi réclame sa part du monde.

Celle d’avant la parole. Celle d’avant le commencement. Celle d’où on entend au loin dans un chuchotement incertain: «Il y eu rien, rien de tout ceci n’allait avoir lieu, c’est un cela pur et fertile qui palpitait au milieu de tout ce qui n’était pas encore ». Oui, au départ, une sorte d’harmonie préexistait. C’est là même que je veux aller. Dans la conscience libre du geste non encore commis, alors que le verbe vivre avait encore tout à offrir. Je veux retrouver le champ libre de tout propos. Le centre chaud de la terre vierge. Façonner ma vie avec de la terre meuble. Et chanter Alleluia.

Le plus fort de nous-mêmes

Le plus fort de nous-mêmes c’est les autres.

C’est vraiment con d’écrire une chose pareille.

Parce que ça ne peut pas être vrai, ni sain. Mais c’est comme ça. Je n’arrive pas à oublier ma mère, à oublier que j’ai en ma possession l’argent qui pourrait la délivrer de ses embêtements avec sa carte de crédit et je ne fais rien. Ça me rend malade cette histoire. Et aussi parce que j’ai honte d’avoir insisté sur le fait qu’elle n’aurait pas cet argent dans le bureau de sa psy. Honte de mon attitude, de ma cruauté.

Envie de déposer ses trois enveloppes sur la table moi-même, de me débarrasser de ce poids, de ce lien aussi. Je voudrais que quelqu’un prenne soin d’elle. Quelqu’un d’autre que moi.

Ça m’empoisonne la vie d’avoir une mère. D’avoir cette mère. Un jour elle va partir, elle ne sera plus jamais là, et elle va me manquer. C’est tellement con!

Menteuse, meneuse, manipulatrice, médisante, mégère, mère, mémère…

Comment faire pour se débarrasser d’une mère pareille? Ne plus y penser? La sortir de ses pensées? La laisser vivre sa vie de grand-mère sans jamais se soucier d’elle? Ne pas craindre de la blesser de la déchirer? Ne pas craindre ses crises d’enfant gâtée? Ses crises de mère entêtée?

Vouloir à tout prix être loin d’elle, dans un Ailleurs où il n’y a pas de place pour elle. L’enfermer dans une autre vie, comme on enferme un colis dans une boite vide: avec détachement. Aucun sentiment. Pas de place pour aimer une mère folle qui vous empoisonne la vie.

Non. Soyons réaliste: c’est moi-même qui m’empoisonne la vie en donnant trop d’importance aux autres.

Je songe qu’une nuit d’été je pourrais partir dans une robe de voile léger et ne plus me laisser distraire par ce monde qui vit sous mes pieds. Comment pourrais-je faire une chose pareille?

Londres, Strasbourg, Edimbourg…

Partir et ne revenir qu’après une longue période d’absence. Prendre mon temps. Tout mon temps. Ne pas me faire attendre, juste partir comme ça pour moi-même. Être au centre de ma propre vie pour une fois. Pour toujours aussi. Comment cela serait-il possible?

Réponse: empiéter sur le territoire des Amérindiens. Partir donc, mais par ici. Ou plus loin encore, avec ces Femmes qui courent avec les loups. Faire une psychanalyse de la femme qui refuse de sortir de moi, parce que le plus fort de moi-même c’est les autres. Savoir cela c’est déjà accomplir un premier pas vers ma première nation.

Comment j’ai écrit ça déjà? «Il faut vraiment que je parte ou sinon».

Ça veut dire quoi ou sinon?

La vie comme je l’aime, tout simplement.

Je devrais toujours faire les choses avec bienveillance. J’oublie parfois. Je me laisse emporter par la bête creuse. Oui, parfois, c’est le corps qui parle. Pas le coeur.

J’ai passé une belle soirée. Je me reprends: j’ai passé une soirée magnifique en présence de Guy et Lyne. Soirée douce, agréable, drôle. On a jasé autour de la table, et on a mangé sans chichi. Le vin était divin, la vie était belle.

On devrait toujours s’entourer de bon monde. Ça aussi, on oublie parfois.

Ma mère m’a écrit qu’elle était rendue à l’auberge Comme au premier jour, mon hôtel préféré dans le Bas-du-Fleuve. C’était un message simple, mais pas empoisonnant. Enfin.

Avec Lyne, on a beaucoup parlé de création. Elle a lu un livre inspirant. Tu aimes créer? Alors crée, sans souci, tous les jours. C’est d’ailleurs comme ça que je devrais enseigner: comme quelqu’un qui crée ses propres lectures tous les jours. Je lis, je crée. Demander aux étudiants de me parler de ce qu’ils ont aimé. Les laisser exprimer leurs commentaires à partir de leur propre capacité à interagir avec le livre.

Questionnaire sur une feuille bleue:

Que pensez-vous de Stevens? Écrire d’abord un commentaire personnel, puis comparer avec le voisin.

Est-ce que c’est un homme bon?

À votre avis, pourquoi revient-il au pays?

Qu’est-ce qui prouve qu’il est devenu un homme?

Avant de mettre le pied au village de Griffin Creek, on sent qu’il a peur. Comment cela est-il exprimé? 

Comment interprétez-vous les propos de sa grand-mère, Felicity Jones, alors qu’il va la voir à son retour?

Qu’est-ce qui prouve que Stevens a un pouvoir énorme sur le village, un pouvoir de vie et de mort?

Lorsqu’il parle de la généalogie de son grand-père, on sent qu’il y a une déficience… Qu’est-ce?

Comparez l’épisode de la musique à bouche selon le point de vue de Stevens et celui de Nora.

Tracez un portrait de Stevens et un autre de Nora.

Qu’ont-il en commun?

Ça me fait du bien de prendre la littérature par le biais de la lecture uniquement. Je vais m’amuser en classe la semaine prochaine. On va s’amuser…

C’était vraiment une soirée simple et riche comme je les aime. Merci pour cette si belle rencontre de septembre.

Maintenant, je vais vivre de septembre en septembre. Garder ce rythme. Et écrire, tout simplement.

Merci la vie.

 

 

 

Dernière soirée sur l’île

J’ai terminé L’homme ralenti en disant bof! Pas mal bof finalement! Dire que je me suis tapée une lecture ardue pendant tout ce temps, et ce, pour en arriver à une fin qui n’a pas de fin, alors là, c’est vraiment frustrant. Pas que je tienne à des happy end, non, je suis une grande fille, c’est-à-dire que j’accepte les malheurs d’autrui, les fins pas « romantiques » (pour reprendre l’expression du Breton du Blue fin) mais quand l’auteur ne trouve rien d’autre que trois bises et un banal au revoir en guise de derniers mots, là je décroche.

Moi au moins mon livre se termine sur un clin d’oeil! Un rapport au titre, une ouverture sur l’ailleurs. D’ailleurs mon éditeur m’a écrit pour me demander de faire le  back cover dans l’urgence. J’ai trouvé ça drôle qu’il emploie des termes anglais alors qu’il me reprochait justement d’en avoir utilisés  dans les premières pages. Je lui ai répondu que je ne faisais qu’imiter les Parisiens. Ouin. Comme je suis plutôt souple, j’ai changé quelques expressions: je les ai francisées. Quand j’ai pris son message d’urgence, j’ai eu envie de lui répondre que j’étais en vacances. Mais je me suis ravisée. J’ai donc rédigé 3 versions de la quatrième de couverture. Il m’avait demandé de faire ça simple et accrocheur. C’est ce que j’ai fait et je suis retournée me faire bronzer avec mon homme ralenti.

Je ne sais pas pourquoi j’ai été ébloui par cette réflexion de Coetzee: « Nos mensonges en disent aussi long sur nous que nos vérités ». J’ai pensé à ma petite soeur qui ment tellement à notre mère. Pourquoi? je me suis demandé. Qu’est-ce que ça me dit sur elle? Je ne sais pas. J’ai réfléchi un peu… Ça me dit qu’elle a vraiment pas d’argent, qu’elle est vraiment démunie dans la vie pour quémander de cette façon. C’est une sorte d’itinérante sédentaire qui a trouvé le moyen de réclamer son pain quotidien à sa mère. Peut-être qu’elle serait morte si notre mère n’était pas là pour elle. Peut-être qu’elle en aurait eu assez et qu’elle se serait fait sauter la cervelle. Peut-être que la maladie l’aurait emportée comme la soeur d’Hélène Monette à qui elle a rendu un bel hommage dans Thérèse pour joie et orchestre. J’espère que j’aurai pas à faire ça: lui écrire des poèmes pour lui dire que je l’aimais avant qu’elle abuse de notre mère pis même après.

J’ai l’orage au coeur cette nuit. Comme la journée: tout plein d’averses entre quelques éclaircis de soleil. On a été chanceux, il pleuvait seulement quand on était à l’abri. Même au Sand, il a plu pendant qu’on soupait sous la tente. On n’était pas à l’abri du vent toutefois parce qu’on s’est fait jouer dans la tête toute la soirée. C’est pas grave, c’était notre dernière soirée sur l’île et on profitait de la vie à l’abri du mauvais temps. J’ai encore mangé de la langouste et Yves a commandé de la sole pas fraiche qui lui a couté la peau des fesses. Elle arrivait tout droit de la France, mais elle avait dû être oublié quelque part au dessus de l’océan. Les poissons, c’est bien connu, c’est fait pour vivre dans l’eau, pas au dessus!

 

Cinq jours avant

il faut compter cinq jours avant de se déposer dans un endroit qui ne nous est pas familier. Cinq jours incertains, à chercher son espace vital dans ses rêves la nuit et à prendre part à la vie domestique le jour. Entre les deux périodes, il faut que le corps s’accoutume aux vacances. Repos, repas, repu, repos, repas…

Je dois me rappeler ce chiffre, car il est impératif que je planifie un peu plus qu’une semaine de vacances à l’avenir. Comme je commence à me sentir bien, heureuse même, il est déjà temps de penser à organiser le départ. J’ai pris l’habitude de laver mes vêtements avant de partir. Donc je dois faire mon lavage aujourd’hui parce que je pars demain et si je tiens compte que je suis bien seulement depuis hier, ça fait un drôle de calendrier de la bonne et heureuse humeur. C’est bref en titi

Encore un bon diner au rendez-vous: salade sucrine, reste de langouste, saumon fumé, baguette « française » (selon les nouvelles normes de l’épicier français; baguette sèche, farine cheap, pas responsable pantoute) et un super Château Grenouille qui n’a pas bougé de la semaine au frigo. Nous attendions le moment ultime. Ça y est, c’est aujourd’hui le jour J!

On a d’abord fait un tour en décapotable pour s’approvisionner. La baguette sèche d’hier doit être remplacée par la « fraîche » du jour. Rions un peu! Moi, ce qui me plait, c’est de faire de la décapotable les cheveux dans le vent avec mon chauffeur préféré à mes côtés. Tout le monde observe l’engin: une couleur hors de commun, du style, de la vigueur en plus. Manque plus qu’un bon disque et on serait les faux riches les plus populaires de l’île! On n’ira pas très loin mais on fera beaucoup de bruit avec ce char-là mon amour et moi.

Hier, on a soupé au restaurant, le Blue fin à Copecoy. Un repas festif! Moi j’avais une assiette immense remplie d’une langouste thermidor. Divin! Purée de pomme de terre au basilic miam miam! J’ai souhaité Joyeux Noël à mon chum quand mon assiette est arrivée. Tellement wow!

On est arrivés au resto la tête en l’air. Dix minutes plus tard, il tombait des clous. On est restés collés en amoureux à l’extérieur sous le parasol bombé d’eau. Au moins dehors on peut fumer. La propriétaire du resto nous a dit qu’on était plutôt chanceux: c’est toujours risqué la météo en cette période. Ça on ne le savait pas. Mais chose certaine, on va le retenir à l’avenir.

On a encore passé une soirée à rire de nos voisins de table, surtout du Breton qui prononçait le mot « romantique » à toutes les deux phrases. Pourquoi sa première femme l’a quitté? a demandé sa copine qui parlait haut et fort. Parce qu’il était trop romantique! Le pauvre! Il a en plus passé une partie de la soirée à parler du Canada. Apparemment,  « les Canadiens veulent des Français (sic), mais pas n’importe lesquels, non, ils veulent que L’ÉLITE »! Quand il a demandé à la serveuse: « Vous avez du vin nouveau rosé? » pour accompagner son steak (je rappelle que le Blue fin est un restaurant spécialisé dans les fruits de mer et les poissons), alors là, on s’est bidonné!!!

 

 

Un dimanche à la villa

Quand je suis en vacances, il m’arrive d’oublier le temps. Les jours passent sans que je les nomme. Je me réjouis de vivre ainsi dans le moment présent uniquement. Pas d’histoire, pas de rendez-vous, pas de calendrier. Je connais la date d’arrivée et la date de départ, c’est tout.

Si j’ai toujours une vague idée des jours de la semaine, je sais pourtant toujours à quel moment on est dimanche. J’ignore pourquoi. Peut-être est-ce une tradition vieille des siècles passés par nos ancêtres à flâner sur le perron de l’église le dimanche matin? Peut-être mon enfance chez grand-maman Nellie me rappelle-t-elle à l’ordre? C’est inné, c’est plus fort que moi, le dimanche, peu importe où je me trouve sur la planète, j’ai envie de bruncher, de manger des oeufs tournés, bacon, avec des rôties accompagnés d’un bon café chaud à une heure indéterminée entre le petit-déjeuner et le repas du midi. Ce matin j’ai mangé des fruits et ce midi j’ai fait une salade grecque. Entre les deux j’ai brunché.  C’est donc dire que, oui, j’ai trop mangé aujourd’hui.

Habituellement, chez moi le dimanche, je saute le petit-déjeuner et le diner. Je brunch uniquement et j’adore ça. Pourquoi j’ai ressenti le besoin de diner en plus? Pour accompagner mon verre de vin et parce que je suis en vacances! Donc tout m’est permis. Je peux manger à pas d’heure, dormir en plein jour, me lever quand je veux, lire au lit, debout ou assise, quelle importance? J’ai bien assez d’avoir à choisir un livre sans avoir en plus à me compliquer la vie avec le reste.

Déjà que ce matin ça n’allait pas la lecture! J’avais déposé La jeune épouse de Baricco sur ma table de chevet avant de m’endormir et je me suis levée avec l’envie d’en savoir plus sur L’homme ralenti de J.M. Coetzee. Que faire alors? Lire, c’est tout. Rien ne me forçait à reprendre ce roman italien dans lequel on sent la présence envahissante de l’auteur: ses réflexions sur l’écriture en train de se faire sont sans détours. J’étais préoccupée par le sort du vieux chnoque handicapé d’une jambe que j’avais laissé de côté hier soir. Pitié ou curiosité? Aucune idée. En tout cas, j’en sais maintenant plus sur lui. Et du coup, je me retrouve encore envahie par la présence de l’auteur caché ici sous le personnage d’une femme, Elizabeth Costello. Encore un oeuvre littéraire pour lecteur averti. Comment ça se fait que je n’ai pas pensé apporter un roman léger dans mes bagages? Un truc facile, pas compliqué, un roman-fleuve dont l’histoire nous coule entre les mains?

J’ai lu, lu, lu et j’ai joué aux pool avec Yves. Je me suis foutue dans la piscine après un match assez serré. J’étais fière de moi parce que l’eau est froide, la piscine n’est pas chauffée. En sortant de la piscine, j’ai surpris un gros chien beige et laid étendu de tout son flan devant la porte patio. J’ai eu la frousse! La bête hideuse semblait anormalement à l’aise ici. On aurait dit un client habitué à l’endroit. En quelques secondes, j’ai eu l’impression que cette villa était un palace pour chien. J’espère me tromper…

La fête à la grenouille

J’étais assise au comptoir de la cuisine quand j’ai entendu un drôle de bruit. J’ai cru que quelque chose se brisait violemment. J’ai regardé partout autour de moi et j’ai constaté que le bruit venait de l’extérieur. La chose, toi! Le vent s’est levé, les arbres s’arrachaient les cheveux pis le ciel s’est mis à pleurer sans crier gare, la piscine ne savait plus ou mettre la tête, ça tombait partout sauvagement, une vraie petite météo ingrate à des kilomètres de chez nous.

J’ai filmé le scénario apocalyptique. J’ai essayé de l’envoyer à tous ceux qui me croyaient au paradis ici, mais avec la pluie, le document était trop lourd: il tournait en rond dans ma boite d’envoi. Enweille vas-y! Rien à faire. J’ai re-filmé la chose en plus bref, mais ça n’allait pas non plus. Personne ne pourra me croire. J’ai fini par prendre une photo. C’est moins représentatif des dégâts mais même la photo n’a pas voulu partir. C’est-tu possible une affaire de même? Ils doivent être arrangés avec le maire de la place pour pas entacher leur belle île toute propre. Bienvenue chez nous y fait toujours beau! Mon oeil!

Y a un drôle d’oiseau qui est sorti de l’étang après l’orage. On dirait qu’il a une corde à linge rouillée dans la gorge. Pas possible de crier de même. Le soleil revient pour faire semblant d’être fin avec nous demain. Ça durera pas longtemps, il est déjà en train de se coucher. Ça jacasse dans les arbres. Ils se sont fait tout arroser pis y sont pas contents. Y doivent se chercher un endroit où se mettre à l’abri pour la nuit. Ça marchera pas de sitôt.

Le vent me caresse les épaules. C’est doux, romantique, agréable. Je préfère le vent quand je me sens seule. Mon chum est au lit. Je crois qu’il lit. Je lui ai prêté L’adversaire pour le distraire. Moi j’ai commencé à lire L’homme ralenti qu’il vient de finir. Il voulait qu’on en discute ensemble. On va faire ça court parce que c’est vraiment bien écrit mais full déprimant. Un vieux chnoque se fait renverser par un chauffard alors qu’il se promenait à vélo. Résultat: il se retrouve à l’hôpital et on lui annonce qu’on doit l’amputer. Pas très jojo comme lecture de vacances. Je vais le mettre de côté et le finir plus tard. Il mérite toute mon attention mais dans de meilleurs conditions. La nuit, la neige, l’ennui… au moins trois facteurs de risque élevé pour ne pas cesser de tourner les pages.

Ça casse le rythme de prendre un livre qu’on ne finira pas en voyage. Faut que je reparte à zéro avec de nouveaux personnages. Il ne me reste plus que deux jours pour plonger dans une nouvelle histoire ou deux. Qu’est-ce que je vais faire? Qu’est-ce que je vais lire à l’abri des maringouins?

Je vais essayer La jeune épouse d’Alessandro Baricco, on verra bien où ça mène. Sur la quatrième de couverture, on présente le livre comme étant: « Un récit mi-philosophique mi-libertin, une histoire d’amour aussi audacieuse que fantasque ». Ça vaut le coup d’essayer de voir ce qui se passe sous la jaquette!

Sortie entre adultes

On s’ennuyait un peu faut croire. J’ai dit qu’il faisait trop chaud à la villa pour prendre l’apéro. Yves était d’accord avec moi. En réalité, on n’avait plus envie d’être ici. On a filé au bar de la plage. Étonnamment, le Dreams était ouvert hier soir. Quand on vient à Saint-Martin en mai, il ferme toujours après le diner. Eh bien on a appris que pendant la haute saison, on y sert aussi les soupers.

On s’est installés un peu à l’écart. On voulait voir du monde, mais avant tout on voulait surtout avoir la paix. Manger sans se faire enterrer par un voisin mal élevé. Ne pas être entourés d’un Français fatiguant ou d’un Américain délinquant. Ou pire, les deux en même temps! Bref, on a choisi une table parfaite: on pouvait voir tous les clients sans avoir à les endurer. On s’est offert une soirée à se moquer d’eux au possible! Du Français fatiguant surtout. Y parlait tellement tout le temps: le petit doigt en l’air, la tête qui se balance avec nonchalance, la gueule qui n’arrêtait pas jamais-jamais, toujours l’air convaincu, toujours l’air d’avoir raison, toujours aussi impressionné par son propre lui-même envahissant à l’os, comme disent la Gaspésiens. Une chance qu’on ne le connait pas celui-là.

Puis ça été au tour de la dame qui l’accompagnait. De son endurance surtout. De sa capacité démesurée à se taire, à faire semblant qu’il est intéressant et que oui, oui, il a bien raison, elle ne savait pas du tout du tout, elle découvre cela avec lui, grâce à lui, elle l’aide à briller mieux, lui, l’enfant-roi qui doit bien s’appeler Narcisse ou quelque chose comme ça. On a concentré toute notre attention aux signes non-verbaux que son visage envoyait à l’interlocuteur assommant: les lèvres pincées, la main devant la bouche, l’index qui s’appuie violemment sur les lèvres comme pour s’assurer qu’elle ne s’ouvriront pas involontairement, le signe de tête résigné maintes fois répété, l’index et le pouce tirant sur le lobe de l’oreille gauche comme pour mieux entendre ce que le loup à grande bouche  vient de dire d’inintelligible devant elle…  Pauvre dame, elle doit surement être psychologue que j’ai dit à Yves.

Il lui a acheté une rose rose et il a demandé au serveur de la mettre sur le bile. Tellement cheap un homme qui se croit puissant avec une carte de crédit. Ensuite, il a cru que ça lui donnait le droit de l’envahir. Peut-être qu’il avait oublié de prendre son prozac, qui sait. En tout cas, moi à la place de la dame, j’aurais passé mon temps à aller faire semblant de pisser aux toilettes, question de reprendre mon souffle, de sortir de cette prison incolore dans laquelle il l’avait emmurée.

Plus loin, il y avait une table entourée d’hommes musclés et tatoués qui parlaient anglais sans crier comme des enfants gâtés. Des géants tranquilles. Yves a dit c’est surement des matelots, ils sont tellement bien élevés. Chapeau! J’aurais parié qu’il avait raison.

À nous deux, on s’est partagé un demi-poulet à la broche et on est partis en en laissant un peu dans l’assiette. Notre sortie entre adultes s’était bien passée. On est rentrés rassasiées et heureux.

Les femmes et les oiseaux

C’est une chanson de Sylvie Drapeau qui me revient d’abord en tête. Ça remonte au début de ma vie d’adulte; à la fin de ma première relation amoureuse. J’entends cette voix mélodieuse s’élever dans ma mémoire… Une voix souple et sonore.  Un choeur en hiver: « Elle a rejoint les femmes et les oiseaux/ Elle a changé/ De ville/ Comme d’autres changent de peau »…

Pourquoi je pense à cette chanson? Je viens de terminer un roman d’Audur Ava Olafsdottir, Le rouge vif de la rhubarbe.  En réalité, c’est son premier roman mais le dernier traduit en français. Quelle importance! Si je fais le lien entre les femmes et les oiseaux c’est parce qu’il est question de femmes et d’ornithologie dans les deux derniers livres que je viens de lire. Mais c’est Audur qui excelle en compréhension avec cette réflexion tirée d’un cahier que la jeune protagoniste vient de trouver:

IL Y A DIVERS AUTRES SIMILARITÉS ENTRE LES FEMMES ET LES OISEAUX: LA FACULTÉ D’ADAPTATION, LA MOBILITÉ, UNE AGITATION INTÉRIEURE AUX PÉRIODES DE SOLSTICE, LE DÉSIR D’AILLEURS. CECI PEUT VENIR DU FAIT QUE LA PERCEPTION DU TEMPS EST, CHEZ L’OISEAU COMME CHEZ LA FEMME, LIÉE AUX HORMONES.

C’est tout de même fascinant une telle complicité. Chez Audur, les femmes ne font pas que rêver de partir, elles prennent les devants et partent à l’aventure. Elles s’envolent! On est loin des femmes de notre civilisation qui rêvent de partir mais qui stagnent. Des femmes savantes sédentaires, des oies des neiges sans ailes et sans reproche. C’est bien connu, le road trip américain est une affaire d’homme uniquement. Moi, j’applaudis quand mes filles gravissent des montagnes. Elles sont le monde meilleur que Fifi Brindacier annonçait dans mon enfance. Elles sont libres, elles. Faut vraiment que j’aille faire une virée en Islande, que j’y rencontre les journées trop courtes en hiver et la lumière trop claire au printemps. Faut que je sorte de mon confort douillet et que je cesse de me lamenter sur mon sort de femme pas assez libérée. Que j’aille cueillir des plumes d’eider au bout du monde et que je m’en serve pour écrire mon nom à l’encre de chine sur un papier avec des pétales d’orchidées d’enfermés dedans. Que j’écrive à mes filles pour leur dire que je les aime au bout du monde autant qu’hier et que demain.

J’en ai marre d’être la belle du foyer des fois! Je veux m’envoler, vivre de mes propres ailes, ne pas avoir de compte à rendre à personne, louer un studio quand ça me chante et inviter mes filles à venir patiner sur les Plaines si j’en ai envie. Me servir un verre de mimosa au petit déjeuner le lundi matin en regardant le toit du musée. Voir le ciel autrement. Avec ma force intérieure nouvelle. Mettre des confitures de fraises et de rhubarbe sur mes rôties en écoutant Glenn Gould me raconter Bach à sa manière, avec générosité et agitation. Vivre la douceur des matins tranquilles et silencieux. Marcher sur le parquet de bois qui craque sous mes pas. Entendre ma propre présence au monde.

Et surtout, ne plus jamais oublier mes hormones!

De choses et d’autres

Je viens de terminer le dernier Nothomb, Riquet à la houppe. C’était didactique, romantique  et divertissant. Notons qu’avec Nothomb on ne tombe jamais dans l’ennui. Pas édifiant mais pas banal non plus. Le genre qu’il faut lire en vacances. Certains lisent des polars, moi je lis Nothomb.

Il est 18 h30 et le soleil est déjà couché. On entend siffler dans les marécages. C’est beau les amours de décembre autour du marais. Aujourd’hui, le femme de ménage est venue perdre un peu son temps. À deux, on ne fait pas grand désordre. Elle a refait le lit et lavé le plancher de la cuisine, mis du sent-bon dans la salle de bain et elle est repartie. À son arrivée, j’en ai profité pour lui faire la jasette. J’aime bien en apprendre sur les gens et les moeurs de la place quand on parle ma langue. Elle vient de la Dominique et elle est venue ici pour gagner sa vie. À 46 ans, de loin, on croyait voir arriver une enfant. C’est surprenant d’avoir une taille aussi fine à son âge.

Je lui ai demandé si la maison était habitée par les propriétaires. J’aurais juré que non à cause de la cuisine très design mais pas du tout fonctionnelle. Un frigo au bout de la pièce, des armoires vides munies de poignées inaccessibles, des verres à vin en quantité mais aucun plat pour les restants, pis le comble, pas de tasse à mesurer, signe que la personne qui a commandé la vaisselle n’avait pas l’intention de cuisiner ici. Ben j’avais raison. Ils vivent en Martinique et ils ont fait construire cette villa pour la louer seulement. C’est pour ça que tout est beau mais cheap: du plancher flottant dans les chambres, des rideaux en polyester turquoise assortis aux coussins rigides, des tableaux sans cadres qui affichent des images à la mode. Du faux faste en somme.

On a filé faire l’épicerie de fruits à la marina de Copecoy. Je me suis sentie soulagée de revenir à la villa avec tout ce qu’il faut pour se nourrir le reste de la semaine. Déjà deux jours de passés. C’est trop bref comme séjour avec tout ce que ça implique d’organisation. On va trouver autre chose à l’avenir. J’ai annoncé à mon chum que je pense avoir atteint l’âge de ces Québécois qui fuient l’hiver en migrant en Floride parce que c’est pas trop loin et pas trop chaud. J’entre dans la phase « pas trop » de ma vie d’adulte. Je vais bientôt devenir plate et moche. J’ai 52 printemps derrière moi. Il est temps que mon chum s’en rende compte. Ça n’a pas eu l’air de l’impressionner. Pas certaine qu’il m’ait prise au sérieux.

J’ai bien aimé cette citation de Nothomb qui montre tout le charme de la vieillesse: « On ne devrait pas avoir le droit de porter de l’or et des diamants avant l’âge de soixante ans ». J’aurai bientôt l’âge de porter des bijoux et des pierres précieuses. Je dois avouer que je triche depuis quelques années. Pourtant, je préfère de loin l’époque où je portais de faux bijoux. Je ne craignais pas de me faire remarquer ni de me les faire voler. Décidément, je ne suis pas faite pour le luxe.