J’ai besoin de revenir au point de départ, là où tout était encore possible, là où rien n’avait été défait.
J’ai besoin de retrouver ma voix de femme, celle d’avant l’amour, avant les hommes, avant les robes. Celle où la forme de mon corps n’avait pas encore d’emprise sur ma vie. C’est le lieu de l’enfance, de l’écriture libre, des couleurs. Les jeux, les odeurs. La soupe au pain de grand-maman Nellie et ses plogues à la moutarde. Pourtant, il y a toujours eu la présence sacrée des mâles autour de moi. Mes oncles, mon grand-père maternel, leur langue de vipère et les saloperies qu’ils débitent à propos des femmes. Tous pareils. Maitres du monde, toujours.
Je cherche le point libre de tout propos indécent. Le verbe d’avant la chute. Avant l’Eve éternelle et insupportable. Avant les récits des hommes, avant la naissance des enfants, avant les mots, avant l’idée même de Dieu et des anges qui veillent sur nous, me semble.
J’ai un tel besoin de liberté que je dois mettre tout en branle pour atteindre ma nouvelle naissance.
Naitre de moi-même hors de la portée de la mère et des hommes avares.
Faire comme ma grande et partir, peu importe le regard des autres, partir. Avancer dans sa propre vie. Pour soi uniquement. Libre et heureuse.
Deux ans encore à jouer à la mère. Deux ans à attendre d’être libérée des tâches ménagères. Qu’est-ce qu’on mange, quand est-ce qu’on mange? Deux ans à vivre sans exister ou serait-ce le contraire?
être libre. être libre. être libre.
C’est possible.
Prendre congé de cette mère qui a été formée à même la côte d’Adam et qui ronge son os.
Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part et qu’il me dise de ne pas m’en faire: rien ne manque, dans la vie rien ne manque. Et que je m’enferme ensuite dans un château qui serait en réalité un monastère. Un lieu de silence et de paix. Un lieu où on respire.
Partir une saison ou quatre et écrire pour savoir où je suis, où j’en suis.
« L’essentiel est invisible pour les yeux», disait St-Exupéry. Je veux trouver ce qui ne se voit pas. Tendre la main et sentir le poids des choses pour ce qu’elles sont en dehors de l’image. Trouver la source de vie qui est en chaque chose, dans la banalité même de la chose, là où elle révèle toute son ampleur. Je veux toucher les racines même du verbe être. Sans souci, sans sexe. Juste être et libre ensemble, les deux en même temps.
Quelque chose en moi réclame sa part du monde.
Celle d’avant la parole. Celle d’avant le commencement. Celle d’où on entend au loin dans un chuchotement incertain: «Il y eu rien, rien de tout ceci n’allait avoir lieu, c’est un cela pur et fertile qui palpitait au milieu de tout ce qui n’était pas encore ». Oui, au départ, une sorte d’harmonie préexistait. C’est là même que je veux aller. Dans la conscience libre du geste non encore commis, alors que le verbe vivre avait encore tout à offrir. Je veux retrouver le champ libre de tout propos. Le centre chaud de la terre vierge. Façonner ma vie avec de la terre meuble. Et chanter Alleluia.